Du design à la participation politique en ligne

Romain Badouard

Fiche de lecture


Identification

  • Titre : La participation politique en ligne : politics as usual?
    Sous-titre : La mise en technologie des projets politiques. Une approche « orientée design » de la participation en ligne
    Auteur : Romain Badouard
    Parution : 2014
  • Mots-clefs : Participation, Internet, Design, Usages, Gouvernementalité
  • Contexte éditorial :

    Cet article est issu de la revue : "La participation politique en ligne : politics as usual?".

  • Contexte auctorial :

    Romain Badouard est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Cergy-Pontoise. Ses recherches portent principalement sur la participation politique et les actions collectives sur internet. Il collabore à différents réseaux et programmes de recherche en lien avec les enjeux politiques du numérique.1 :

    • Gouvernance et régulation d'internet
    • mouvements d'opinion et mobilisations politiques en ligne

Analyse

L’auteur se demande dans cet article si « Les technologies du numériques sont intrinsèquement politique de par le design ? »

Les enjeux présenté par l’auteur sont nombreux, il y a tout d’abord les couches techniques qui viennent contraindre les utilisateurs et qui par ailleurs peuvent être superposé et donc ainsi contraindre encore plus. (para. 5) Il y a aussi les algorithmes de moteur de recherche qui d’après de récentes études sociologiques produisent des effets proprement politiques. (para. 9) De même, nous pouvons aussi parler des design des outils technologiques qui induise la possibilité à certaines action ou viennent à en contraindre d’autre. Il y a aussi l’arborescence des sites, qui orientent les internautes vers certaines pages, valorisent ainsi certaines informations ou certaines activités.

Le principe de démocratie participative est ancien et à toujours connu un certain engouement au sein des populations. En effet, une participation citoyenne a toujours été vu d’un bonne œil car permettant au peuple d’être plus impliqué dans les décisions politiques mais aussi de diminuer au passage le pouvoir des représentants. Dans le contexte de la transition numérique, ce principe à très rapidement été repris par de nombreuses instances. Comme le dis Guillaume Gourgues dans la revue « Participation : trajectoire d’une dépolitisation » : « l’offre de participation s’est largement « déterritorialisé »… Chaque échelle du gouvernement semble ainsi en mesure de se doter de son "ingénierie participative"(§6) . L’article est donc publié dans ce contexte numérique où l’engouement de la démocratie participative s’est décuplé au sein de différents acteurs politiques. On peut aussi parler d’un contexte européen, en effet, la gouvernance européenne étant très distante de ces populations essaye de compenser en renchérissant sur les démocraties participatives, on peut citer les deux exemples utiliser par l’auteur pour décrire sa thèse qui sont deux plateformes nommées « Votre point de vue sur l’Europe » et « Consultation européenne des citoyens » incitant à la participation citoyenne selon des schémas de fonctionnement bien différents. Enfin, plus généralement, l’auteur écrit dans le contexte des environnements de technologies. En effet, tous les outils technologiques sont susceptibles d’être utilisé à des fins politiques de par leur finalité. Il est donc important de faire comprendre, grâce à la publication de cet article, aux programmeur et ingénieurs qui conçoivent ces outils numériques la portée politique de leurs créations dans le but d’éviter une quelconque instrumentalisation.

Dans cet article, l’auteur défend une hypothèse qui suit la thèse TAC, thèse centrale dans les travaux de recherche du Costech. L’hypothèse étant : "Les outils technologiques sont anthropologiquement constitutifs de par leur conception qui, dans une certaines mesures, contraint l’utilisateur à certaine actions." 1Ce qui semble bien être le cas selon l’auteur qui nous explique dans le paragraphe 4 comment ces technologies orientent les comportements des internautes en nous citant des auteurs venant du mouvement de la littérature STS : « La façon dont ces architectures et infrastructures influencent et orientent les comportements des individus est bien documentée dans la littérature en STS : du pont de Brooklyn (Winner, 1986) aux serrures de Berlin (Latour, 1996), des réseaux d’électricité (Coutard, 2001) à la signalétique du métro parisien (Denis, Pontille, 2012), celles-ci sont pensées comme autant de projets gestionnaires qui régulent des relations entre individus.»

De plus, l’auteur présente plusieurs éléments de réponse permettant de clarifier la question centrale de son article. En effet, il émet la question suivante « les technologies numériques déterminent-elles les usages des internautes en fonction des modèles de participation incorporés dans leur design ? » ($41). Question à laquelle il répond par la négative en expliquant que les utilisateurs ont la capacité d’utiliser ces différents outils numériques selon des stratégies individuelles et indépendante de la volonté première de ses concepteurs. Par ailleurs, la dernière partie de la phrase précédente montre bien que les concepteurs choisissant le design de l’outil numérique, ils lui impliquent donc ainsi une certaine forme de gouvernementalité car comme l’auteur l’explique si bien au paragraphe 42 : « Les appréhender par leur design, c’est justement « dé-scripter » ces propositions pour les mettre en relation avec un projet politique qui vise à orienter et cadrer les activités des internautes.». L’auteur vient appuyer son propos en parlant de la « gouvernementalité algorithmique » en expliquant que cela produisait un effet de « boite noire » tel que, la manipulation des technologies numériques de participation entrainait une conduite participative (et donc politique) sans que les usagers en aient forcément conscience. La citation de Madeleine Akrich utilisé au paragraphe 44 permet de comprendre facilement l’enjeu de la gouvernementalité algorithmique : « C’est en ce sens que les objets techniques peuvent être considérés comme des instruments politiquement forts, dans le même temps qu’ils produisent des modes d’organisation sociale, ils les naturalisent, les dé-politisent, leur confèrent un contenu autre ». Par ailleurs, l’auteur explique comment ces technologies organisent des rapports sociaux de trois manières différentes. Tous d’abord, ces technologie « font agir » c’est-à-dire qu’elles cadrent, orientent, configurent les actions de leurs utilisateurs. Ensuite, elles « font interagir », c’est-à-dire qu’elles rendent possible et contraignent certaines formes de communication. Enfin, elles « font exister » des pratiques participatives, en suscitant certaines formes d’engagement à travers des propositions de comportements types que les usagers choisissent (ou refusent) d’adopter (ou de bricoler).

Malgré tous, on peut discuter de l’hypothèse suivie par Romain Badouard en adoptant un autre point de vue de sciences sociales sur la technologie. Tout dépend comment on conçoit la technologie : Romain Badouard soutient l'hypothèse centrale de la Thèse TAC (la technologie est anthropologiquement constitutive de l'être humain, de son existence, sa vision du monde, ses modes de vie, attitudes...) qui focalise l'attention sur le "design" c'est à dire la conception ingénierique de la technologie ; constatant les effets politiques de celle-ci il en induit l'idée qu'elle est intrinsèquement politique. Cependant en adoptant un autre point de vue sur la technologie, plus proche des sciences économiques que des sciences de l'ingénieur, on constate que certains auteur comme Yann Moulier-Boutang ("capitalisme cognitif") ou encore Shoshana Zuboff ("capitalisme de surveillance") mettent l'accent davantage sur l'expansion de la technologie dans la société que sur la conception ou design. L'expansion est généralement commerciale (nombre de machines ou applications vendues, incorporant telle technologie) mais elle peut-être aussi sociétale (nombre d'utilisateurs de machines, impact de la technologie sur les populations...) ; dans tous les cas la technologie ne produit d'effet politique qu'à partir du moment ou des investissements et des usages sociaux la diffusent dans la société. Le cimetière des technologies qui ont probablement parues géniales à leur invention et dont personne n'a entendu parler est probablement immense. En en se penchant sur le capitalisme numérique on vient progressivement à se rendre compte que si l’on veut discuter de l’existence même d’une technologie, il est primordial de se concentrer sur l'aspect de son développement économique et sociétal. Même les idées politiques initiales des ingénieurs ont moins d'importance que les contraintes rencontrées par les inventeurs pour faire connaître et/ou faire utiliser leur technologie. L'’exemple idéal est celui de la naissance de Google et de ses évolutions entre 1998 et 2001 : dans le chapitre 3 du livre de Shoshana Zuboff « L’âge du capitalisme de surveillance » l'auteur nous explique comment les fondateurs de Google en 1998 avaient des valeurs bien différentes (refusant tous marchandising) de celles finalement mises en œuvre au début des années 2000 (bulle spéculative sur les startup du numérique) lorsqu'ils étaient au bord de la faillite : ils ont changé très rapidement leurs fonctionnement (quitte à changer leur valeurs d’origine) lorsqu’ils se sont rendu compte que « à partir des sillages de signaux non structurés laissés par chaque action en ligne » il était possible de « construire autour de chaque utilisateur des récits détaillés -pensées, sentiments, intérêts- » (Chap 3, Part II, § 3)2 et de prédire certaines préférences et comportements. Cela leur permet de vendre aux publicitaires ce pouvoir de prédiction et d'influence pour savoir quoi proposer aux utilisateurs au moment juste où il le cherche. On comprend donc bien que les valeurs politiques de Google n'étaient pas celles qui ont donné naissance à l'algorithme de son moteur de recherche et que le succès qu'il a connu ainsi que sa puissance politique actuelle ne sont pas dûs non plus au design du système informatique mais bien au "business model" de l'entreprise façonnée par les contraintes de marché. Dans cet exemple, l'économie semble plus fortement constitutive de l'expérience humaine que la technologie.

Glossaire


Références


  1. Thèse TAC
  2. https://www.u-paris2.fr/fr/universite/enseignants-chercheurs/m-romain-badouard
  3. L’Âge du capitalisme de surveillance : Le combat pour un avenir humain face aux nouvelles frontières du pouvoir (2018)